La section du frein de langue…

Eline

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Silvestro Lega (1826 – 1895, Italian)

Etude du cas clinique

Cette mère accouche à terme d’une petite fille de 3000 g, Eline.
L’allaitement est douloureux dès la première tétée en salle de naissance. Personne ne réussit à aider la mère durant son séjour en maternité et elle souffre terriblement à chaque tétée.
A J5, elle décide de tirer son lait pour le donner au biberon. Le tire-lait n’est pas douloureux et Eline prend le biberon sans problème. Mais à la tétée suivante, sa mère a l’impression qu’Eline tète encore plus mal.
Elle fait appel à moi à J6 et vient me voir directement au Centre allaitement.

Mon intervention

Elle me décrit des douleurs en coups de couteau, pendant toute la tétée, sur les deux seins.
Elle a essayé des bouts de sein en silicone qui n’ont rien changé.
Eline prend du poids correctement.
J’observe la bouche d’Eline : elle ouvre bien grand la bouche mais la langue ne bouge quasiment pas et je repère un frein de langue très avancé et très court qui empêche tout mouvement de la langue.
J’observe une tétée : Eline ouvre grand la bouche pour prendre le sein mais la referme sur le sein. Elle déglutit très régulièrement. Je propose à la mère de revoir la mise au sein en installant Eline en madone inversée et en lui proposant bien le mamelon sous le nez. La prise est alors meilleure et la mère a moins mal.
Eline fait une tétée complète sans autre souci que la douleur de la mère. Lorsqu’Eline lâche le sein, le mamelon est biseauté et des crevasses sont visibles.

J’explique à la mère que les douleurs viennent essentiellement du frein de langue trop serré qui ne permet à Eline de placer sa langue correctement et je lui propose un rendez-vous avec l’ORL du Centre allaitement pour le lendemain.
Je lui explique également comment améliorer la prise du sein et je lui propose la possibilité de tirer son lait et le donner à la seringue au doigt d’ici le lendemain si la douleur n’est pas supportable.
Le lendemain, le frein de langue est sectionné par l’ORL. La tétée faite après la section du frein se passe bien et Eline tète sans souci.
De retour à la maison, elle continue à téter sans problème jusqu’à ce qu’elle ne réussisse plus à téter dans la nuit. Elle a faim et réclame le sein mais quand sa mère l’installe pour téter, elle s’énerve devant le sein et n’arrive plus à le prendre. Au bout d’un long moment de pleurs, la mère se résout à lui donner la seringue au doigt qu’elle prend sans problème.
La même scène se renouvelle au matin. La mère essaie de proposer son petit doigt à téter avant la mise au sein pour amorcer la succion mais Eline n’y arrive pas mieux. La mère essaie des bouts de sein en silicone qui ne changent rien. Elle se résout donc à tirer à nouveau son lait pour le donner à la seringue au doigt. Elle tire 200 ml sans effort.
La mère m’appelle dès l’ouverture du Centre allaitement car elle est perdue et ne comprend pas pourquoi son bébé ne prend plus le sein.
Je lui propose de passer dans l’après-midi, entre deux autres consultations.

Je regarde alors à nouveau la bouche d’Eline pour vérifier qu’il n’y a aucun problème après la section du frein de langue. Celle-ci est parfaite. Par contre, en proposant mon petit doigt à Téter à Eline, je m’aperçois qu’elle place désormais sa langue en boule en arrière et n’avance pas la langue pour téter mon doigt alors qu’elle a désormais la possibilité de le faire. D’autre part, elle n’arrive plus à ouvrir sa bouche en grand et serre très fort les gencives, ce qu’elle ne faisait absolument pas deux jours plus tôt.
Quoi que j’essaie, rien ne change et Eline est complètement crispée.
Lorsque l’on essaie une mise au sein, Eline n’avance pas la langue pour prendre le sein et n’arrive pas à attraper le sein en bouche.
Je propose aux parents de voir un ostéopathe pour aider Eline à décrisper la mâchoire et détendre sa langue. En attendant, je leur propose de continuer à la nourrir à la seringue au doigt avec du lait tiré.

L’ostéopathe du Centre allaitement les rencontre trois jours plus tard et constate une crispation importante. Son hypothèse est que la section du frein de langue, en libérant une tension importante, a déséquilibré un équilibre précaire et que les tensions se sont déplacées mais qu’elles étaient déjà présentes auparavant.
La première séance permet déjà à Eline de prendre le sein mais elle n’est pas encore efficace et n’avance pas encore très bien la langue.

Nous espérons que la séance suivante permettra une amélioration complète. En attendant, Eline continue à bien prendre du poids.

 

Titouan

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mother-Nursing-Infant by Jean-Baptiste-Camille Corot (1796 – 1875)

Etude du cas clinique

Cette mère accouche deux semaines avant terme d’un petit garçon de 3800 g, Titouan.
C’est un troisième enfant, et j’ai déjà rencontré cette mère pour ces enfants précédents qu’elle a tous les deux allaité plus d’un an.
L’allaitement a démarré correctement. La mère a eu de petites crevasses à la maternité qui se sont résorbées rapidement.
La montée de lait a été importante, avec des seins très tendus. Titouan ayant du mal à gérer le flot de lait, le personnel de la maternité a conseillé à la mère de tirer son lait avant les tétées pour que celles-ci soient plus paisible pour le bébé.
La mère s’est vite rendue compte qu’en faisant cela, sa lactation ne faisait qu’augmenter. Elle a alors décidé de ne tirer que le matin, quand ses seins étaient vraiment trop tendus. Mais Titouan a continué à s’étouffer au sein lors des tétées et du coup à s’arrêter rapidement de téter alors même qu’il semblait avoir encore faim.
De plus, il régurgite beaucoup.
La mère décide de faire appel à moi pour gérer sa lactation.

Mon intervention

Je rencontre Titouan et sa mère trois semaines après la naissance. Il pèse alors 4250 g. C’est correct mais sans plus. Il aurait plutôt dû peser autour de 4600 g.
J’observe Titouan et je m’aperçois qu’il n’ouvre pas très grand la bouche. Lorsqu’il tète mon doigt, il ne lève absolument pas l’arrière de la langue pour pouvoir créer une dépression en l’abaissant, sa langue reste plate. Je regarde alors son frein de langue : il est très court et pas du tout élastique. Sa langue reste donc collée au plancher de la bouche et il ne peut pas non plus l’avancer correctement. D’autre part, il présente un réflexe nauséeux très avancé qui le gêne pour avancer le mamelon au bon endroit dans sa bouche.
J’observe une tétée et je remarque que le lait coule très vite et fort : Titouan déglutit donc très bien pendant quelques minutes, jusqu’à ce que le réflexe d’éjection du lait se calme. A ce moment là, il n’arrive plus du tout à obtenir du lait, il s’endort.

J’explique à la mère que c’est grâce à sa lactation très abondante que Titouan réussi à manger à peu près correctement jusqu’à présent mais que son bébé n’est absolument pas efficace au sein. Je lui propose de prendre RDV avec l’ORL du Centre allaitement pour envisager la section du frein de langue. La mère n’est pas du tout étonnée car ses deux premiers enfants avaient un frein de langue court qui avait été sectionné et elle-même présentait la même particularité.
Parfois, le simple fait de sectionner le frein de langue permet au bébé d’ouvrir mieux la bouche, je lui propose donc que l’on attende pour voir s’il ouvrira mieux la bouche après.
D’autre part, je lui propose de faire des exercices de désensibilisation du réflexe nauséeux pour aider Titouan à mieux supporter le sein en bouche.
Enfin, sa lactation surabondante étant pénible pour elle, je lui propose de prendre des infusions de sauge officinale pour faire baisser légèrement sa lactation. Si jamais Titouan n’arrive plus à obtenir assez de lait, il suffira d’arrêter les infusions.

Le frein de langue est sectionné le lendemain sans aucun problème.
Une semaine plus tard, la mère m’explique que Titouan ouvre un peu mieux la bouche et pince moins, il reste plus longtemps au sein mais la mise au sein n’est toujours pas très facile. Lorsqu’elle propose son petit doigt à téter à Titouan, elle sent toujours sa gencive sous le doigt. Par ailleurs ses seins sont plus confortables.
Je lui propose de m’envoyer une vidéo d’une mise au sein pour que je puisse voir ce qui se passe.
Je m’aperçois alors que l’ouverture de bouche n’est toujours pas bonne et je propose à la mère un rendez-vous d’ostéopathie. Je lui explique que j’en profiterai alors pour vérifier que le frein de langue ne s’est pas recollé.

Deux jours plus tard, l’ostéopathe confirme des tensions qui gênaient l’ouverture de bouche. Je vérifie le frein de langue : il s’est recollé. Je lui propose de montrer cela à l’ORL qui arrive dans l’heure suivante. Celui-ci confirme et sectionne à nouveau le frein de langue.

Je revois la mère trois semaines plus tard à l’occasion d’un rendez-vous avec l’ostéopathe. Elle m’explique que le placement de langue n’est toujours pas optimal et souhaite que je vérifie le frein de langue.
Qu’elle n’est pas ma surprise de constater que le frein de langue ne s’est pas recollé mais que la membrane s’est reformée ! La mère n’est absolument pas étonnée et me montre alors son propre frein de langue qui, après avoir été sectionné, s’est complètement reformé. On n’imaginerait jamais en le voyant qu’il ait déjà été sectionné… Elle m’explique également que cela s’est aussi produit pour ses deux premiers enfants.
Nous décidons alors de ne plus toucher à ce frein de langue.

L’allaitement se passe tout de même mieux et la mère est satisfaite.

 

Bibliographie

Pour des notions sur le frein de langue en général :

  • Marsha Walker, Breastfeeding Management for the clinician, Jones and Bartlett Publishers, 2017.
  • R A Lawrence, Breastfeeding : a guide for the medical profession, Elsevier. 2016.

Je n’ai malheureusement pas de référence bibliographique concernant ces deux situations. N’hésitez pas à me les indiquer si vous en avez.

 

Dernière mise à jour : 16 janvier 2018 par Véronique Darmangeat