Quand l’angoisse perturbe l’allaitement

Camille

Portrait de Lady Mary Boyle et son fils Charles Boyle (huile sur toile). Sir Godfrey Kneller (1646-1723)

Etude du cas clinique

Cette mère de 30 ans accouche à terme d’une petite fille de 3200 g, Camille.
Elle appréhendait l’allaitement car toutes les personnes de son entourage ayant allaité avaient rencontré de grosses difficultés.
Les débuts à la maternité sont difficiles car le bébé perd beaucoup de poids et l’on dit à la mère de réveiller Camille toutes les deux heures, d’autant plus qu’elle fait un ictère.
La mère est de retour à la maison sans avoir eu de montée de lait. Celle-ci se produit à J4.
A J5, une sage-femme pèse le bébé, ainsi à qu’à J8. Camille prend du poids.
A J12, Camille n’a pas pris de poids. La sage-femme conseille aux parents de peser le bébé avant et après la tétée et de compléter avec une préparation pour nourrissons à chaque tétée.
La mère se sent très mal avec cette recommandation car elle souhaite un allaitement exclusif. Elle donne quand même quelques biberons.
Deux jours plus tard, elle essaie donc de tirer son lait après les tétées pour compléter son bébé.

Mon intervention
Elle m’appelle pour remettre l’allaitement sur les rails.
Je reçois la famille à J16. C’est le père qui prend spontanément la parole pour m’expliquer la situation. Il m’explique qu’ils ont du mal à faire manger le bébé lorsqu’ils le réveillent mais qu’il pleure et réclame entre les tétées.
Lorsque je pose des questions à la mère, c’est le père qui y répond et j’ai du mal à savoir ce que la mère pense.
Elle finit par m’expliquer d’une voix ténue qu’elle se sent très déstabilisée, qu’elle souhaite un allaitement exclusif mais qu’elle est perdue car elle ne contrôle rien. Elle me dit qu’elle se sent angoissée, qu’elle doit voir son psychiatre dans 3 jours mais qu’elle n’est pas sûre de tenir jusque là. En même temps, elle redoute qu’il lui donne un traitement qui l’oblige à arrêter l’allaitement.J’observe le bébé qui ne présente aucune particularité et a une succion parfaite.
J’observe une mise au sein et Camille n’ouvre pas assez la bouche au sein. Je montre donc à la mère comment positionner son bébé pour obtenir une bonne prise du sein, ce qu’elle fait sans difficulté.
Camille tète efficacement et déglutit régulièrement, aux deux seins.Nous la pesons et elle a pris 120 g en une semaine. C’est insuffisant mais tout à fait rattrapable au vu des capacités de Camille.

J’explique aux parents que Camille est tout à fait capable désormais de se nourrir correctement et de se réveiller seule lorsqu’elle a faim. Je leur propose de suivre le rythme de leur bébé pendant 24h : de ne pas la réveiller et de lui donner le sein aussi souvent qu’elle le souhaite, même si elle demande de façon rapprochée.
La mère est d’accord avec cette façon de faire qui lui enlève le poids de devoir contrôler ce que boit sa fille.
Je lui fournis également de la documentation pour son psychiatre, de manière à ce qu’il puisse lui prescrire un traitement si nécessaire.
Je demande aux parents de me recontacter dans 24h, plus tôt s’il en éprouvent le besoin.

Le lendemain, les parents sont contents parce que la nuit s’est bien passée, les tétées sont plus efficaces et les couches sont bien souillées. Ils sont d’accord pour continuer ainsi les 24h suivantes.
Le lendemain, Camille a beaucoup tété. Les parents l’ont pesée et elle a pris 70g en 2 jours, ils sont donc rassurés : faire confiance à Camille fonctionne. On continue ainsi pour 24h.
Le lendemain, les selles sont plus abondantes et je sens la mère un peu plus assurée.
Le 3e jour, la mère voit son psychiatre qui lui prescrit un anxiolytique. Elle l’achète mais ne le prend pas. Le fait de savoir qu’elle peut le prendre en cas de besoin lui suffit pour le moment.

Les parents me tiennent au courant tous les deux jours puis espacent petit à petit leurs appels. Ils reviennent me voir à un mois. La métamorphose est stupéfiante : la mère est souriante et confiante, l’allaitement se passe bien et les parents commencent à envisager la poursuite de l’allaitement à la reprise du travail.

Chez cette mère déjà fragile, la pression a été trop forte à la maternité et en suites de couches pour qu’elle prenne confiance dans ses propres capacités et celles de son bébé. La présence confiante du père a été extrêmement importante. Ce qui a permis à la mère de se faire confiance a été de commencer par faire confiance au bébé et petit à petit, elle a réussi à surmonter le cap de l’angoisse initiale.

Fleur

Reginald Bottomley(1856–1933), A mother and child looking at the virgin and child. Huile sur toile.

Etude du cas clinique

Cette mère de 46 ans accouche à terme, d’une petite fille de 3600 g, Fleur.
C’est son 5e enfant et elle a allaité longtemps les deux enfants précédents.
L’allaitement a bien démarré.
La mère m’appelle lorsque sa fille a presque 4 mois car elle veut que je lui apprenne à tirer son lait à la main. J’ai du mal à comprendre au téléphone son discours assez confus mais je lui propose un rendez-vous pour le lendemain.

Mon intervention
Lorsque j’arrive, je vois Fleur installée dans un transat, avec de bonnes grosses joues, l’air d’un bouddha sur son siège. Je demande à la mère de m’expliquer pourquoi elle souhaite me voir. Elle est persuadée de manquer de lait. Elle a donc voulu stimuler sa lactation au tire-lait mais elle s’est fait mal aux mamelons. Elle a fait des pansements au lait maternel qui ont bien fonctionné. Elle veut apprendre à tirer son lait à la main pour stimuler sa lactation tout en évitant le tire-lait.
Lorsque j’essaie de savoir pourquoi elle pense manquer de lait, elle me dit que sa fille tète beaucoup moins vigoureusement que ses frères, qu’elle ne sent plus le reflexe d’éjection du lait et que ses seins sont flasques.
Je lui demande si sa fille est satisfaite après les tétées, elle me dit qu’elle ne dit rien mais qu’elle est sûre que Fleur n’a pas assez mangé.
Je lui demande les prises de poids de son bébé. Fleur a pris du poids très régulièrement et pèse 6,800 kg à 4 mois, une courbe de poids absolument parfaite et régulière.J’observe une tétée et je vois une petite fille qui tète tranquillement mais efficacement les deux seins, sans énervement et qui est satisfaite après la tétée.J’explique à la mère comment tirer son lait à la main puisque c’est sa première demande. Elle y réussit sans aucun problème.

Je lui explique également que sa fille se porte parfaitement bien, que sa courbe de poids est parfaite et qu’elle tète très bien.
Le fait de ne pas sentir le réflexe d’éjection n’est pas un signe de problème puisqu’environ un tiers des femmes ne le sent jamais. Avoir des seins souples à ce stade de l’allaitement est tout à fait normal et je me permets de remarquer qu’à son âge, il est normal d’avoir des seins moins fermes que lorsqu’elle avait 20 ou 30 ans.

La mère m’écoute, reconnait qu’elle s’inquiète beaucoup car elle est seule responsable de l’alimentation de sa fille et qu’elle sera rassurée lorsque Fleur mangera des solides.
Comme elle continue à s’angoisser, elle préfère continuer à stimuler sa lactation en plus des tétées.
Une semaine plus tard, elle me rappelle car elle ne sent pas le réflexe d’éjection (!…). Je prends le temps d’écouter son inquiétude et je l’amène à repérer tous les signes qui montrent que Fleur mange bien.
Elle continue à m’appeler régulièrement pour s’assurer que tout va bien.

Pour cette mère, qui n’en est pourtant pas à sa première expérience d’allaitement, l’angoisse est trop forte pour pouvoir se faire confiance et pour faire confiance à son enfant, la réassurance régulière lui est nécessaire.

Bibliographie
  • Marsha Walker, Breastfeeding management for the clinician, Using the evidence, Jones and Bartlett Publishers, 2014, page 550-554.
  • Demilade A. Adedinsewo, Maternal Anxiety and Breastfeeding, Journal of Human Lactation, Vol 30, Issue 1, 2014.

Dernière mise à jour : 29 mars 2017 par Véronique Darmangeat