Abcès du sein

Cas clinique n°1

Cette mère accouche à terme d’un petit garçon de 3,370 kg.
A la maternité, des douleurs lors des tétées apparaissent très rapidement. A J+1, des crevasses sont observables. Le personnel recommande alors d’utiliser des bouts de sein en silicone. La mère rentre chez elle en poursuivant l’allaitement avec les bouts de sein en silicone.

A J15, un engorgement apparaît au sein gauche. Le médecin consulté prescrit de l’aspirine.
Une semaine plus tard, le sein est toujours engorgé. La mère consulte alors un sénologue, chef de service de sénologie. Celui-ci prescrit une échographie. Celle-ci est réalisée à un mois et six jours. Le médecin échographiste diagnostique alors trois « pré abcès ». Le sénologue prescrit une semaine d’Augmentin.

Une semaine plus tard, la situation n’a pas évoluée pour le sein. Le bébé se porte très bien et prend du poids régulièrement. Le sénologue prescrit une nouvelle semaine d’Augmentin.
Une semaine plus tard (le bébé a un mois et vingt jours), le sein est toujours dans le même état. Le sénologue prescrit une troisième semaine d’Augmentin.

La mère fait appel à moi à la fin de cette troisième semaine de traitement. Le bébé a alors deux mois. J’observe le sein de la mère : il est très dur, une zone est saillante, rouge et la peau ressemble à du papier à cigarette.

J’observe la bouche du bébé : sa mâchoire inférieure est légèrement décalée sur la gauche, il tire mal la langue mais une fois qu’il a attrapé mon doigt, sa succion est bonne. Son ouverture de bouche est moyenne. Lorsqu’il prend le sein, il déglutit régulièrement malgré une prise du sein avec une bouche peu ouverte. Tout ceci explique les douleurs du début de l’allaitement, un mauvais drainage des seins sur une lactation abondante et donc une prise de poids correcte malgré la mauvaise prise du sein.

J’explique à la mère que l’aspect de son sein me fait suspecter fortement un abcès collecté et qu’il vaudrait mieux qu’elle aille consulter d’urgence un service hospitalier qui pratique le drainage des abcès.
Elle se rend l’après-midi même dans un grand hôpital parisien. Le chef de service veut l’opérer le lendemain après un contrôle échographique.

L’échographie pratiquée le lendemain montre un abcès collecté dans une poche de 8 cm de diamètre. La mère refuse d’être opérée, elle veut l’avis du sénologue qui lui avait prescrit l’Augmentin pendant trois semaines.
Elle voit celui-ci deux jours plus tard : il refuse d’opérer et prescrit à nouveau le même antibiotique. Je lui suggère alors de consulter un médecin généraliste qui a l’habitude de ce genre de pathologie pour avoir un autre avis, dans l’espoir qu’elle accepte de se faire opérer rapidement.

Elle rencontre ce troisième médecin trois jours plus tard. Au vu des résultats échographiques, celui-ci diagnostique une galactophorite et propose de ponctionner l’abcès en cabinet pour éviter le drainage chirurgical. La mère refuse.

Une semaine plus tard, elle rencontre deux autres chirurgiens de deux autres hôpitaux qui proposent tous les deux de l’opérer d’urgence. La mère refuse car le sénologue considère toujours que ce n’est pas la peine d’opérer.

Celui-ci décide finalement de l’opérer lorsque le bébé a deux mois et trois semaines, soit deux mois après la première consultation. Il reconnaît alors qu’il y avait bien un abcès collecté qu’il draine…mais ne fait pas faire d’antibiogramme sur le pus collecté et ne prescrit pas d’antibiothérapie. Il ordonne le sevrage immédiat du bébé.

Je n’ai plus de nouvelles pendant quelques mois. Je rencontre la mère par hasard six mois plus tard. Elle m’explique qu’elle a fait deux autres abcès quinze jours après le drainage du premier. Ceux-ci ont été drainés rapidement. Désormais elle se porte bien mais regrette cet allaitement arrêté contre sa volonté.

Pour cette maman, la situation a trainé beaucoup trop longtemps, certainement à cause d’un mauvais drainage du sein et d’un traitement inadapté.

Cas clinique n°2

Cette mère accouche trois semaines avant terme d’un petit garçon de 2,700 kg. L’allaitement ne démarre pas très bien. La mère a mal aux mamelons lors des tétées et son bébé prend peu de poids. Il pèse 2,800 kg à trois semaines.

Un peu plus tard, la mère déclare une mastite, traitée par Orbénine. La mère fait une allergie à l’antibiotique qui est alors remplacé par de la Pyostacine pendant dix jours. La situation ne s’améliorant pas, la sage-femme qui suit la mère demande à faire faire une échographie qui permet de déceler un abcès collecté.

Celui-ci est drainé chirurgicalement lorsque le bébé a un mois et demi. Un drain est posé et la mère se voit prescrire de l’Oflocet pendant cinq jours.
La mère sèvre le bébé à l’hôpital à la suite du drainage. Les seins ne présentent pas d’engorgement. Mais le bébé cherche le sein très souvent et la mère regrette le sevrage. Elle remet donc son bébé au sein une semaine après l’opération sur le sein qui n’a pas été atteint. Elle lui donne en parallèle des biberons de 120 ml six ou sept fois par 24 heures. La prise de poids est excellente, le bébé pèse 5,400 kg à deux mois.

Elle fait alors appel à moi pour remettre en place l’allaitement sur les deux seins tout en évitant tout risque de récidive d’abcès. Elle a très peur d’une telle récidive et souhaite à tout prix l’éviter.

J’observe la bouche du bébé. Il présente un palais haut et un frein de langue, il ouvre très peu la bouche pour prendre le sein. Tout ceci explique les tétées douloureuses en début d’allaitement et un mauvais drainage du sein.
Lors de la tétée, le bébé déglutit régulièrement sur le sein gauche. J’explique à la mère comment placer son bébé pour qu’il ouvre la bouche le plus grand possible. Puis nous essayons de mettre en place une tétée sur le sein droit.
Le pansement est mal placé car la bouche du bébé se pose dessus. Je suggère donc à la mère de demander à l’infirmière qui lui pose le pansement tous les jours de le décaler autant que possible pour que la bouche du bébé ne le touche pas.
La tétée sur le sein droit se passe bien, le bébé déglutit pendant quelques minutes et ne fait pas mal à sa mère.

Je propose à la mère de proposer toujours les seins avant de donner un biberon et de ne pas donner plus de 90 ml au biberon après la tétée pour que le bébé puisse téter régulièrement au sein.
Je lui propose également de voir avec un ostéopathe s’il peut aider son bébé à ouvrir mieux la bouche.

Je revois la mère neuf jours plus tard. Le bébé a été vu par un ostéopathe. Il serre un peu moins les mâchoires, mais ce n’est pas encore parfait. Il souffre également d’une bronchiolite depuis une semaine et reste très encombré.
La mère a eu peur de remettre son bébé sur le sein droit, elle a donc attendu une semaine avant de retenter une mise au sein à droite. Celle-ci a été douloureuse et deux ampoules sont apparues sur le mamelon droit à la suite de cette tétée. La mère les a percées avec une aiguille stérilisée. Cela forme désormais une petite crevasse.
Avec la reprise des tétées à gauche, la lactation a augmenté également sur le sein droit. La mère est donc obligée de tirer son lait à la main sur le sein droit (la téterelle du tire-lait est douloureuse sur la plaie) pour qu’il ne s’engorge pas. Cela lui fait très peur et elle a envie de tout arrêter. Il reste encore au moins trois semaines de soins sur la plaie et elle ne se voit pas tirer le lait à la main pendant trois semaines.

Je lui propose alors de tenter une nouvelle mise au sein avec moi qui se passe très bien. La mère est heureuse de voir que c’est possible mais elle a encore du mal à croire qu’elle va y arriver sans moi. Je lui explique comment soigner la crevasse et je l’encourage à refaire la mise au sein seule devant moi. Elle y arrive très bien.

Je reviens la voir une semaine plus tard. La bronchiolite du bébé n’est toujours pas guérie, il n’est donc pas très en forme pour téter. La veille la mère a détecté une zone un peu dure près de la plaie. Elle a eu peur d’un nouvel abcès et s’est rendue à l’hôpitalpour vérification. Le personnel l’a rassurée, tout allait bien.
Elle a continué à mettre son bébé au sein droit une tétée sur trois. La crevasse est guérie. Le bébé ne prend plus que 200 ml de préparation pour nourrisson par 24 heures. La courbe de poids n’est pas bonne (il a pris 200 grammes en trois semaines) mais comme il souille très bien ses couches, cette prise de poids trop juste serait plus à mettre sur le compte de la bronchiolite. La plaie de la mère continue à très bien cicatriser.
J’encourage la mère à donner désormais les deux seins à chaque tétée pour pouvoir supprimer les biberons de préparation pour nourrisson.

La mère me recontacte une semaine plus tard. La bronchiolite est guérie, le bébé ne prend plus de biberons, il ouvre mieux la bouche et sa prise de poids est parfaite puisqu’il a repris 500 grammes en une semaine.
La mère est ravie car désormais tout se passe bien, elle a réussit à remettre son allaitement en place et elle a repris confiance en elle et en son bébé. Un abcès ne signe donc pas forcément la fin d’un allaitement.

Bibliographie

  • Lawrence R.,  Breastfeeding : a guide for the medical profession,. 3ème ed., St Louis Mosby, 1994.
  • Mohrbacher N and Stock J., The breastfeeding answer book, LLLI, 1991, p135-40.
  • Riordan J, Auerbach K., Breastfeeding and human lactation, Jones and Barlett, ed, 1999.
  • LLL France, Les dossiers de l’allaitement, n°63.
  • Impact de l’utilisation de bouts de sein sur le transfert du lait à l’enfant prématuré et sur la durée de l’allaitement, les dossiers de l’allaitement n°50, p.24, 2002.
  • Breastfeeding management for the clinician, Using the evidence, Marsha Walker, Jones and Bartlett Publishers, 2006.
  • L’allaitement, comprendre et réussir, Jack Newman et Teresa Pitman, Jack Newman Communications, 2006, pages 127 à 130.

 

Dernière mise à jour : 18 avril 2017 par