Quand la réalité de l’allaitement ne répond pas à l’attente des parents

Cas clinique n°1

Cette mère a accouché à terme d’un petit garçon de 3,400 kg.
Elle a toujours voulu allaiter son enfant et en espérait une expérience merveilleuse.
L’allaitement a été difficile dès le début. Des douleurs sont apparues dès la première tétée et le bébé ouvrait mal la bouche.

La mère a fait appel à moi 19 jours après la naissance sur les conseils d’une amie car les douleurs ne passaient pas.
Nous revoyons ensemble les débuts et la mère m’explique à quel point elle tient à « réussir » cet allaitement.

J’observe le bébé : il est très rétrognate avec une langue courte. Une très bonne mise au sein est donc nécessaire pour que la langue soit placée correctement. Or la mère place mal son bébé au sein, ce qui explique que le bébé referme la bouche et les douleurs présentes depuis le début.
Nous revoyons ensemble la mise au sein en utilisant la prise asymétrique, absolument nécessaire dans ce cas précis.
Immédiatement la tétée n’est plus douloureuse.
Mais la mère est inquiète, elle a peur de « mal faire ». Je prends du temps pour lui montrer qu’elle sait très bien refaire cette mise au sein seule.
Je lui suggère également de parler à son médecin de l’onguent tout usage du Dr Newman car elle présente des crevasses qui ne sont pas saines.

La mère me recontacte 4 jours plus tard. L’onguent est rapidement efficace, les mises au sein se passent bien mais le bébé s’endort très vite au sein.
Je suggère alors à la mère d’utiliser la compression mammaire pour que le flot de lait soit plus important et incite le bébé à téter.

Le lendemain, le bébé est pesé, il n’a pas pris de poids en 11 jours. Je suggère à la mère de tirer son lait pour proposer des compléments de lait maternel au bébé, le temps qu’il reprenne suffisamment d’énergie pour ne plus s’endormir trop vite au sein.

Le bébé reprend du poids. J’informe la mère qu’elle peut arrêter les compléments mais qu’elle doit proposer très régulièrement le sein à son bébé (au moins toutes les deux heures, le temps que le poids se stabilise).

La mère me recontacte à 6 semaines. Le bébé va bien, la prise de poids est correcte. Mais je sens la mère insatisfaite.
Elle m’explique que son mari n’est pas content car le bébé est « toujours au sein ». Je lui demande de me décrire les journées de son bébé. Il fait des grappes de tétées toutes les trois heures et passe sa soirée au sein.
J’explique à la mère que ce rythme est entièrement normal pour un bébé allaité. Comme je la sens partagée entre les besoins de son bébé et ceux de son mari, je lui explique qu’elle peut aussi choisir de mettre en place un allaitement mixte, qui limitera le nombre de tétées.

Trois jours plus tard, elle me rappelle : elle a discuté de la situation avec son mari et choisi de poursuivre un allaitement exclusif à la demande.
En fait, ces parents n’avaient aucune notion des besoins d’un bébé allaité. À partir du moment, où nous nous sommes assurés que le bébé tétait bien et prenait correctement du poids, que je leur ai expliqué quel était le rythme habituel d’un bébé au sein, que les parents ont senti qu’ils avaient le choix, ils ont pu accepter de suivre ce rythme beaucoup plus sereinement.
Aujourd’hui, le bébé a trois mois et tète toujours à la demande.

Cas clinique n°2

Cette mère a accouché de deux petites filles, Marie et Alice, à terme, par césarienne.
Les deux petites filles ont été mises en peau à peau immédiatement et ont tété tout de suite. La tétée a immédiatement été douloureuse et des crevasses se sont formées.
La soirée du deuxième jour a été particulièrement difficile et les bébés ont commencé à recevoir des compléments. La maman a suspendu l’allaitement et a tiré son lait pendant 24 heures pour soulager la douleur.

Elle fait appel à moi à son retour à la maison, essentiellement parce que les douleurs sont insupportables. Les bébés sont en allaitement mixte et reçoivent des compléments de 40 ml, trois ou quatre fois par 24 heures.

À l’observation, Marie a une très bonne succion mais serre fort les mâchoires. Comme elle n’ouvre pas très bien la bouche, la tétée est douloureuse. Elle déglutit régulièrement mais s’endort rapidement au sein.
Je montre à la mère comment améliorer la mise au sein, la tétée est immédiatement moins douloureuse. Je suggère de continuer les compléments, si possible de lait maternel, pour que Marie reprenne des forces et soit plus efficace au sein.

Alice ouvre très bien la bouche mais ne place pas toujours sa langue correctement, du coup elle a tendance à lâcher le sein assez facilement. Par contre elle s’endort moins vite au sein, fait une tétée complète et est apaisée après la tétée.
Je revois la mise au sein avec la mère, là aussi le soulagement est immédiat. Je suggère aux parents de diminuer les compléments en proposant plus de tétées car Alice est capable de prendre toute sa ration au sein.

Je reviens une semaine plus tard. La mère n’a plus mal. La tétée de Marie s’est améliorée, Alice tète très bien. Cependant les parents ont tendance à donner plus de compléments et n’imaginent pas comment faire autrement. J’insiste sur le fait qu’Alice n’a plus besoin de compléments et que Marie est capable d’en prendre beaucoup moins. La maman reprend espoir. Mais j’ai l’impression en repartant de chez eux que cet allaitement va bientôt s’arrêter car les parents ne s’imaginent pas se fier aux rythmes des bébés.

La mère me rappelle un mois et demi plus tard, les bébés ont deux mois. La mère a trouvé sur internet un coussin d’allaitement pour jumeaux vendu à l’étranger qui lui a changé la vie. Elle est parfaitement bien installée pour donner le sein à ses deux filles en même temps en ayant les mains libres. Les deux bébés tètent très bien. Alice n’a plus de complément et Marie garde deux compléments qui lui permettent d’être plus calme. Le rythme des tétées la journée est très rapproché mais Marie dort toute la nuit et Alice ne se réveille plus que deux petites fois la nuit donc la mère est bien reposée. Elle a accepté le fait d’allaiter ses enfants toute la journée pour un temps et le vit très bien. Elle se sent bien pour continuer cet allaitement autant que possible.

Je rencontre par hasard cette mère lorsque ses bébés ont onze mois, elles sont toujours allaitées et la mère me remercie pour mon soutien : elle a pu réaliser son rêve d’allaitement alors qu’elle croyait en sortant de la maternité qu’elle n’y arriverait jamais.
Elle avait juste besoin d’oser faire confiance à ses bébés !

Bibliographie

  • Allaitement de multiples, les dossiers de l’allaitement n°77, oct-nov-dec 2008, page 8.
  • Traité de l’allaitement maternel, LLLI, 1999, pages 353 à 366.
  • L’allaitement, comprendre et réussir, Jack Newman et Teresa Pitman, Jack Newman Communications, 2006

Dernière mise à jour : 19 avril 2017 par