Le bébé qui n’arrive pas à se nourrir

Evan

Maternité Jean Miscelas Peské Huile sur toile, environ 81 x 65 cm Musée du Petit Palais, Genève, Suisse

Etude du cas clinique

Cette mère accouche à terme d’un petit garçon de 3900 g, Evan. L’accouchement a été déclenché et la mère a fait une hémorragie au cours de l’accouchement.
Elle souhaite absolument allaiter et est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour réussir cet allaitement.
Mais les débuts d’allaitement sont difficiles car Evan perd beaucoup de poids et la maternité insiste pour que la mère donne des compléments de préparation pour nourrisson, ce que la mère refuse de faire. Evan fait un ictère qui nécessite une séance de photothérapie.
Il a beaucoup de mal à prendre le sein et au moment de la montée de lait, il n’arrive plus du tout à prendre le sein.
La mère signe une décharge pour rentrer chez elle à J3 car elle ne supporte plus la pression de la maternité au sujet du poids de son bébé.

Au retour à la maison, elle est soutenue par une sage-femme qui dit à la mère qu’il faut que son bébé prenne un sein 10 minutes toutes les 4 heures et que le reste du temps, il doit dormir.
Pour que son bébé réussisse à prendre le sein, le mère utilise des bouts de sein en silicone, ce qui permet à Evan de prendre le sein sans trop de difficulté.

A J10, lors de la visite chez le pédiatre, celui-ci annonce à la mère qu’Evan a encore perdu 100 g et lui demande de donner le sein 10 minutes toutes les 3 heures.
La mère ressent une grosse baisse de lactation et décide alors d’aller contre l’avis de la sage-femme et du pédiatre et de donner les 2 seins à chaque tétée.

3 jours plus tard, Evan n’a repris que 20 g, il pèse 3400 g et le pédiatre demande à la mère de donner des compléments de préparation pour nourrisson.
La mère ne veut pas donner de complément car elle craint que cela ne sonne le glas de son allaitement. Elle loue un tire-lait pour stimuler sa lactation et prend de l’homéopathie et du galactogyl dans le but de relancer sa lactation.
Elle m’appelle pour prendre un rendez-vous pour sauver son allaitement. Je lui suggère de donner des biberons en attendant ma venue car je m’inquiète pour ce bébé.

Mon intervention

Je viens la voir à la maison à J17.
Elle a commencé à donner des biberons à Evan qui prend 15 ml 6 fois par 24h, car il demande à manger toutes les 4 h et dort beaucoup.
La mère tire son lait 6 fois par 24h et obtient entre 20 et 100 ml par tirage.J’observe la bouche d’Evan et je m’aperçois qu’il présente un frein de langue jusqu’au bout de la langue, très serré, qui ne lui permet pas du tout de bouger sa langue, complètement fixée au plancher de la bouche. Il est absolument impossible pour ce bébé de téter efficacement.
D’autre part, il est très fatigué.
J’observe une tétée avec le bout de sein en silicone : Evan ne déglutit que lorsque le réflexe d’éjection du lait se déclenche et s’arrête de déglutir dès que le lait ne coule plus tout seul.
En position madone, Evan a l’air gêné pour déglutir et s’agite. Je propose donc à la mère de l’installer en position BN, presque à la verticale et les quelques déglutitions se passent mieux.
J’observe enfin un repas au biberon et je m’aperçois qu’il a énormément de mal à manger au biberon alors qu’il a visiblement faim. Cela le frustre et il lâche le biberon en pleurant et il est impossible de lui redonner le biberon : il n’arrive plus à le reprendre. Il ne réussit pas non plus à prendre la seringue au doigt car il n’arrive pas à bouger la langue.J’explique aux parents que le frein de langue de leur bébé ne lui permet pas de manger correctement au sein et que j’ai un gros doute sur son aptitude à prendre le biberon. Je leur explique la nécessité de faire couper ce frein de langue au plus vite.
Je leur explique également que si le prochain repas ne se passe pas mieux que celui que j’ai vu, il faudra emmener Evan aux urgences car il ne peut pas se nourrir.
Enfin, j’explique à la mère que le tire-lait qu’elle a n’est pas efficace et je lui suggère de changer de tire-lait et de continuer à tirer son lait après chaque tétée pour relancer sa lactation et pouvoir donner son lait au biberon si nécessaire.Je rappelle le lendemain pour savoir comment s’est passée la soirée et la nuit. La mère m’explique qu’Evan a beaucoup pleuré, pris le sein comme je l’ai vu faire mais n’arrive pas du tout à prendre le biberon. Elle doit voir le pédiatre dans la matinée.
Le pédiatre consulté les envoie aux urgences car Evan ne se nourrit pas.
L’interne de garde aux urgences confirme le frein de langue et le sectionne. Evan réussit depuis à manger au biberon, 60 ml  après chaque tétée, mais toujours pas au sein. Les urgences indiquent aussi qu’Evan a une laryngomalacie mais n’expliquent pas aux parents ce que cela implique.
La mère demande à me revoir pour remettre Evan au sein correctement maintenant que le frein de langue a été sectionné.

Je revois donc la famille à J23.
Evan pèse 3600 g.
La mère m’explique qu’Evan est plus actif, il se réveille de lui-même toutes les 2-3 h. Il tète plus longtemps et prend entre 20 et 80 ml de lait maternel après chaque tétée. Il est nourri exclusivement au lait maternel car la mère tire en moyenne 800 ml de lait par 24 h.

J’observe la bouche d’Evan et je m’aperçois que le frein a été très peu coupé. Cela ne lui permet pas de téter mieux au sein, cela lui permet juste de réussir à se débrouiller au biberon. La succion reste très faible et Evan s’endort toujours très vite au sein.
Au biberon, Evan mange très doucement et a l’air très gêné pour déglutir. La mère m’explique qu’elle doit le forcer pour qu’il arrive à prendre au moins 30 ml et que cela peut prendre une heure.
J’explique aux parents que le frein de langue gêne toujours la succion d’Evan et qu’il faut le faire recouper par un ORL expérimenté au plus vite. D’autre part, j’aimerais avoir l’avis de l’ORL sur la déglutition difficile d’Evan. A la demande des parents, je contacte moi-même un ORL qui accepte de les recevoir le lendemain matin.

Le lendemain, l’ORL coupe correctement le frein de langue et la mère voit immédiatement du mieux au biberon et légèrement au sein. Il constate la laryngomalacie mais considère qu’elle ne pose pas de problème.
Mais il faut toujours une heure et demie pour enchaîner tétée et biberon de complément.
Les bouts de sein en silicone restent nécessaires.

Aux 4 semaines d’Evan, sa mère, partie en province dans sa famille, m’appelle. Elle a remarqué qu’Evan réussit mieux à manger s’il ne tète pas avant le biberon. Comme il a toujours du mal à manger une ration suffisante, que la mère est épuisée et inquiète, nous convenons de faire, au moins pour un temps, un tire-allaitement exclusif.
3 jours plus tard, il réussit à manger, de lui-même 800 ml par 24 h au biberon s’il ne prend pas le sein. S’il prend le sein, il prend mal le biberon après. Il dort mieux.
Je propose donc à la mère de continuer à la nourrir exclusivement au biberon et de lui proposer le sein une fois par jour, sans bout de sein en silicone, après le biberon.

A 5 semaines, il pèse 4100 g. Le pédiatre dit à la mère que c’est insuffisant et qu’il faut forcer Evan à manger plus. Alors que si l’on regarde une courbe de poids OMS, cette prise de poids est tout à fait correcte. D’autant plus qu’Evan boit en moyenne 750 ml par 24 h.
Il réussit à prendre le sein 2 fois par jour, en milieu de repas et est de plus en plus efficace.
D’autre part, la mère a remarqué que la déglutition d’Evan est beaucoup moins bruyante et plus facile quand il tourne la tête vers la gauche pour manger, que ce soit au sein ou au biberon. Je propose donc à la mère de voir un ostéopathe.
L’ostéopathe consultée confirme que de grosses tensions au niveau de la nuque empêchent Evan de maintenir sa tête dans l’axe pour manger.
Dès le lendemain, il mange la tête dans l’axe du corps et n’a plus aucune gêne à la déglutition.
Il fait désormais 2 tétées par jour sans avoir besoin de biberon après. Nous travaillons pour augmenter petit à petit le nombre de tétées et pouvoir se passer du biberon. Nous avons bon espoir.

Bibliographie
  • Mannel, Martens, Walker, Core curriculum for Lactation Consultant Practice, Jones and Bartlett Learning, 2013, page 482.
  • Marsha Walker, Breastfeeding Management for the clinician, Jones and Bartlett Learning, 2014, page 420.
  • Lawrence, Breastfeeding, Elsevier, 2016, p. 874.
  • Watson Genna, Supporting Sucking skills, Jones and Bartlett Learning, 2008, p.188.

Dernière mise à jour : 26 janvier 2017 par Véronique Darmangeat